Coronavirus : premières décisions sur les cas de force majeure
Depuis le mois de mars 2020, l’Europe connaît une crise sanitaire sans précédent liée à la pandémie de Coronavirus.
En France, le gouvernement a promulgué une loi d’urgence (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020) lui ayant permis de prendre par voie d’ordonnance diverses mesures en vue de limiter l’ampleur de la crise sanitaire, d’une part, et ses effets néfastes sur la vie économique du pays, d’autre part.
Avec le fort ralentissement de leurs activités, les différents acteurs économiques se sont naturellement interrogés sur le sort de leurs relations contractuelles et plus précisément sur le maintien de leurs obligations contractuelles dans ce contexte.
Dans le magazine juridique La Nouvelle « Coronavirus » de notre Cabinet, nous avions exposé les conditions dans lesquelles il était possible pour un cocontractant d’invoquer la force majeure pour s’exonérer de sa responsabilité contractuelle.
Toutefois, ces trois critères (imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité) étant soumis à l’appréciation des juges au cas par cas, une incertitude planait quant à la tendance qui serait adoptée par les juridictions dans le contexte actuel si particulier.
Les premières décisions rendues en la matière apportent quelques indices :
1. Force majeure pour justifier et impossibilité de comparaître
Dans plusieurs arrêts, les cours d’appel de Nancy, Colmar ou encore Douai ont, dès le début du mois de mars 2020, et pour certaines antérieurement aux mesures de confinement ayant pris effet le 17 mars 2020, retenu que le risque de contagion du covid-19 était constitutif d’un cas de force majeure de nature à justifier qu’il soit statué en l’absence d’une personne retenue à titre administratif (Cour d’appel de Colmar, 12 mars 2020, RG 20/01098) :
« […] ces circonstances exceptionnelles entraînant l’absence de X à l’audience de ce jour revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieurs, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire X à l’audience. »
2. Clause étendue de force majeure comme fondement de la suspension d’un contrat de fourniture d’électricité
Les 20, 26 et 27 mai 2020, le Tribunal de commerce de Paris a rendu 4 ordonnances de référés concernant l’exécution d’un accord-cadre entre la société EDF, fournisseur d’énergie, et quatre de ses revendeurs au détail.
Les solutions de ces quatre ordonnances sont les mêmes dans la mesure où l’accord-cadre de distribution conclu avec les quatre cocontractants prévoyait des clauses similaires.
L’accord cadre prévoyait notamment une clause de force majeure donnant une définition étendue de la force majeure par rapport à la définition légale de l’article 1218 du Code civil français. En effet, ladite clause stipule en son premier alinéa :
« La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ».
Devant le juge des référés, les revendeurs ont fait valoir une baisse de consommation de leurs clients en raison des mesures gouvernementales restrictives de libertés, ces derniers s’étant trouvé dans l’incapacité de consommer l’énergie dans les proportions habituelles. En conséquence, le revendeur qui s’était lui-même trouvé dans l’impossibilité de stocker l’énergie achetée, avait dû la revendre à perte.
Le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a relevé que la pandémie de coronavirus revêtait bien un caractère extérieur aux parties et qu’elle était par ailleurs irrésistible et imprévisible. Il considère en outre que les pertes importantes, immédiates et définitives en raison de prix de vente nettement inférieurs aux prix d’achat constituaient une impossibilité pour les revendeurs d’exécuter les obligations découlant du contrat dans des conditions économiques raisonnables et donc un cas de force majeure tel que défini contractuellement de manière élargie.
En conséquence, il a ordonné au fournisseur d’électricité de cesser de s’opposer à la mise en œuvre de la clause de force majeure et de suspendre l’exécution de l’accord cadre.
La société EDF a contesté cette décision devant la Cour d’appel de Paris. Dans plusieurs arrêts rendus le 28 juillet 2020, la Cour d’appel de Paris a toutefois confirmé la solution retenue par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.
Elle justifie sa décision par le fait que les revendeurs avaient fait une bonne application de la clause de force majeure prévue à l’accord-cadre de distribution.
La motivation précise de ces décisions confirme qu’une qualification générale de cas de force majeure découlant de la pandémie de coronavirus dans le cadre des contrats de droit privé est exclue.
La force majeure ne sera retenue par les juridictions comme cause d’exonération de la responsabilité que dans la mesure où les conditions légales (imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité) sont réunies, ou dans l’hypothèse où il existe une clause de force majeure, lorsque les conditions de mise en œuvre de celle-ci sont réunies.
Notre recommandation :
Dans ce contexte, l’insertion d’une clause de force majeure dans les contrats commerciaux futurs est conseillée afin d’anticiper d’éventuelles difficultés.
Notre équipe d'avocats franco-allemand se tient à votre disposition pour toute autre information à ce sujet.
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