Entreprises en Allemagne: Limites du pouvoir de direction de l’employeur – droit à dommages et intérêts d'un salarié pour cause de mutation abusive
Par principe, tout employeur allemand peut, dans le cadre du pouvoir de direction que lui confère le droit du travail, décider unilatéralement de muter un salarié. Il se doit néanmoins à cet égard de respecter les limites de son pouvoir de direction. Ainsi, l’ordre de l’employeur ne doit notamment pas être arbitraire mais reposer sur un motif objectif et il doit être raisonnable pour le salarié. Si, dans le cadre d’un litige, les juges constatent le caractère abusif de la mutation, l'employeur est tenu au versement de dommages et intérêts.
Le tribunal régional du travail de Hesse a rendu récemment une décision précisant qu'un employeur allemand était tenu de verser des dommages et intérêts à un salarié, qu’il devait supporter ses frais de double résidence ainsi qu’une partie de ses trajets de retour au domicile et qu’il devait lui verser une indemnité journalière dans la mesure où la mutation dont le salarié avait fait l’objet était abusive (voir arrêt du tribunal régional du travail de Hesse : LAG Hessen, arrêt du 10.11.2017, 10 Sa 964/17, NZG 2018, 6).
Il s’agissait au cas d’espèce d’un salarié travaillant au service d’une société allemande depuis 1997. Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable d’établissement sur l'un des sites de l'entreprise près de Francfort. Ce salarié avait été muté par son employeur en novembre 2014 pour une période de 2 ans minimum dans une autre succursale de l'entreprise, située à environ 480 km de l'ancien site.
Après s’être exécuté dans un premier temps, le salarié avait par la suite contesté le bien-fondé de sa mutation devant les tribunaux. Pendant sa période de mutation dans la succursale, il avait pris en location un autre logement pour un loyer mensuel d’environ 315 euros. De plus, il faisait régulièrement la navette avec son véhicule privé entre sa résidence principale et ce logement, les vendredis et les dimanches. Suite à une décision définitive rendue en appel, il avait pu retourner travailler sur l’ancien site à partir d'octobre 2016. Cette même année, le salarié avait introduit une nouvelle action en justice par laquelle il exigeait de son employeur le versement de dommages et intérêts. Il avait notamment demandé le remboursement de ses frais de double résidence, de ses trajets hebdomadaires à son domicile ainsi que la rémunération de ses temps de trajet et le versement d'une indemnité journalière.
Le tribunal régional du travail de Hesse a jugé en appel que les revendications du salarié étaient en partie justifiées. Il a précisé que, la mutation ayant été déclarée abusive en première instance, l’employeur était tenu de verser à l’intéressé des dommages et intérêts et que ces derniers recouvraient, sur le fond, les frais de double résidence et des trajets aller-retour.
Le tribunal a toutefois constaté que le préjudice ne pouvait être calculé sur la base des dispositions de la convention collective applicable aux deux parties, étant donné qu’il s’agissait, en ce qui concerne la mutation, d’une mesure durable et non temporaire. Le salarié n’était pas non plus fondé à exiger de l'employeur le remboursement de ses frais de trajet vers sa résidence habituelle dans la mesure où les trajets entre le domicile et le lieu de travail relèvent fondamentalement de la sphère privée.
Le tribunal a jugé que les dommages et intérêts devaient être calculés selon les règles de droit public en matière de frais de déplacement (öffentlich-rechtliche Reisekostenregelungen), à savoir concrètement sur la base de l'ordonnance relative aux indemnités de mutation et de détachement sur le territoire national allemand (Trennungsgeldverordnung, en abrégé « TGV »).
Ainsi, sur cette base, les frais de location du logement sur place devaient être remboursés intégralement étant donné leur caractère raisonnable. Les frais de déplacement quant à eux ne devaient être remboursés qu’à hauteur du prix d’un voyage en train tous les deux week-ends, sans rémunération du temps de voyage. En outre, le salarié avait droit à une indemnité mensuelle de 236 € au titre du surplus de ses dépenses, ce montant étant calculé conformément à la réglementation en vigueur en matière d’indemnité journalière en cas de mutation et de détachement.
Le jugement d’appel ainsi rendu n'est pas encore définitif. Le recours devant la Cour de cassation fédérale du travail (BAG) a été admis pour les deux parties en ce qui concerne les dommages et intérêts et leur calcul.