Prêt de main d’oeuvre de la France vers l’Allemagne ou conclusion d’un contrat de service avec le client allemand ?
Les entreprises françaises qui détachent leurs propres salariés en Allemagne dans le cadre d’un prêt de main d’oeuvre pour la réalisation d’un projet ont l’obligation de se conformer aux dispositions strictes du droit du travail allemand. Ainsi, par exemple, la société prêteuse française doit être titulaire d'une autorisation de prêt de main d’oeuvre délivrée par l'Agence fédérale allemande pour l'emploi (Bundesagentur für Arbeit) et la rémunération du salarié français détaché doit, pendant la durée de sa mise à disposition, être au moins égale à la rémunération (souvent supérieure) d'un salarié du client allemand exerçant des fonctions comparables. Il existe toutefois la possibilité d'éluder au cas par cas ces règles strictes, le cas échéant en concluant avec le client allemand un contrat de prestation de services.
Selon le droit du travail allemand, constitue un prêt de main d’oeuvre la mise à disposition temporaire d'un salarié (travailleur intérimaire) par un entrepreneur (prêteur) à un tiers (utilisateur) pour effectuer un travail.
Le travailleur mis à disposition, qui reste lié par son contrat de travail avec le prêteur, est tenu de travailler pour l'entreprise utilisatrice en se conformant aux instructions qu’elle lui donne. En vertu de la loi allemande et de la jurisprudence rendue en la matière, il y a prêt de main d’oeuvre pour l’exécution d’un travail dès lors que
- des salariés sont mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice,
- que ces salariés sont intégrés dans la marche de cette entreprise
- et qu’ils exécutent leur travail exclusivement sur la base des instructions données par l’entreprise utilisatrice et dans l’intérêt de cette dernière.
A contrario, on ne peut pas parler de prêt de main d’oeuvre au sens de la loi allemande sur le prêt de main d’oeuvre (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz, en abrégé « AÜG ») si le recours à du personnel externe s’effectue sur la base d’un contrat de service ou d’un contrat d’entreprise. En Allemagne, ces types de contrats ne sont de loin pas aussi strictement réglementés par la loi que le prêt de main d’oeuvre et, en particulier, ils ne requièrent aucune autorisation.
Pour pouvoir distinguer du point de vue juridique un contrat d’entreprise / de service d’un prêt de main d’oeuvre, seule compte l'exécution effective du contrat. Selon la jurisprudence allemande, les conséquences juridiques recherchées par les parties au contrat ou une désignation du contrat ne correspondant pas à son contenu n’ont à cet égard aucune importance.
Si un donneur d’ordre allemand et un prestataire externe conviennent d’une activité dans le cadre d'un contrat de service librement négocié entre eux, la question de savoir si les salariés du prestataire externe exécutent effectivement leur mission en qualité de préposés du prestataire dans le cadre d’un contrat de service ou s’il s’agit d’un prêt de main d’oeuvre dissimulé, dépend essentiellement de celui qui donne aux salariés (ouvertement ou de manière déguisée) les instructions typiques d'un contrat de travail.
Dès lors que, dans les faits, les instructions de travail sont données par l’entreprise cliente, on est en présence d’un prêt de main d’oeuvre, avec toutes les obligations qui en découlent, et non pas d’un contrat de service ou de prestation de services, et ce quel que soit l’intitulé du contrat conclu avec le client allemand. Le contrat de service, dans le cadre duquel les salariés intervenant chez le client agissent en tant que préposés du prestataire, est très proche du prêt de main d’oeuvre, de sorte que tenter de contourner la réglementation applicable en matière de prêt de main d’oeuvre par la conclusion d’un contrat de service s’avère une entreprise souvent périlleuse.
En raison du recours abusif aux contrats de service et aux contrats d’entreprise par le passé, ce qui a fait l'objet de nombreux débats dans la presse allemande également, la loi allemande sur le prêt de main d’oeuvre a renforcé les dispositions applicables en la matière. Ainsi, depuis le 1er avril 2017, tout prêt de main d’oeuvre doit être expressément convenu comme tel entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice.
En outre, le travailleur intérimaire doit être expressément désigné avant sa mise à disposition et il doit lui-même être informé de ce que son activité relève d’un prêt de main d’oeuvre. En cas de non-respect de ces règles, non seulement le contrevenant s’expose à une amende (pouvant aller jusqu'à 30.000 €), mais il est réputé exister d’office un contrat de travail entre l’utilisateur et le travailleur intérimaire.
La conclusion de contrats de prestation de services avec des clients allemands pourrait bien être un moyen d'éluder notamment les règles strictes en matière d’égalité des salaires prévues par la loi allemande sur le prêt de main d’oeuvre. Le fait pour des prestataires français d’envoyer leurs spécialistes sur place chez un client allemand pour une période relativement longue ne constitue pas nécessairement un prêt de main d’oeuvre dissimulé. Pour que, selon le droit du travail allemand, la conclusion d’un contrat de service ne soit pas considérée comme un prêt de main d’oeuvre dissimulé illicite, il convient d’intégrer dans ledit contrat de service avec le client allemand un descriptif le plus précis possible des missions à réaliser et de convenir de manière claire de ce que les salariés de la société française ne recevront d’instructions que de leurs propres collègues et/ou supérieurs hiérarchiques et qu’ils ne pourront eux-mêmes donner d’instructions qu’à leurs propres collègues.
Il convient toutefois de rappeler là encore que ce n'est pas seulement ce qui est convenu par écrit entre l'entreprise française et le client allemand qui importe, mais avant tout la manière dont le contrat est effectivement exécuté en pratique.