Activité indépendante fictive (« Scheinselbständigkeit ») ou activité salariée ?
4 juin 2020
Tout employeur en Allemagne a l’obligation de vérifier si les collaborateurs auxquels il fait appel doivent s’affilier à la sécurité sociale ou pas. Il en va de même pour les donneurs d’ordre qui doivent vérifier le statut de leurs preneurs d’ordre à l’encontre de la sécurité sociale. Pour les donneurs d’ordre, il est difficile de cerner les limites entre une activité salariée et une activité indépendante et d’identifier correctement la nature de la relation de travail.
Contrairement au salarié, le travailleur indépendant ne bénéficie pas des dispositions protectrices du droit du travail et son donneur d’ordre n’est pas tenu au paiement des cotisations sociales au titre de l’activité ainsi exercée (assurances maladie, dépendance, retraite et chômage). En Allemagne, les indépendants sont, à quelques exceptions près, exclus de cette réglementation. Il n’est pas rare que les entreprises et les particuliers tentent de contourner l’application des dispositions du droit du travail ainsi que l’obligation d’affiliation au régime de sécurité sociale par la conclusion d’un contrat de prestation de services en lieu et place d’un contrat de travail, et ce parfois par l’intermédiaire d’une société créée par le preneur d’ordre. Or, la conclusion d’un tel contrat de prestation de services peut comporter des risques, notamment pour l’employeur. En effet, selon le droit du travail allemand, une telle situation peut facilement conduire à une activité indépendante fictive. Avec pour conséquence l’obligation pour l’employeur, le cas échéant, de verser les cotisations sociales tant patronales que salariales et la possibilité pour le prétendu prestataire de services de se prévaloir des dispositions du droit du travail allemand, par exemple en matière de protection contre le licenciement abusif.
Il convient donc de bien faire la distinction entre une activité indépendante et une activité salariée, en appliquant certains critères de différenciation. Les donneurs d’ordre allemands ont tout intérêt à connaître et à appliquer ces critères. Si, à titre d’exemple, un agent de la caisse allemande de retraite constate, a posteriori, que les collaborateurs externes travaillant pour le compte d’une entreprise sont en réalité des indépendants fictifs, cela peut coûter très cher à l’entreprise, notamment si des arriérés de cotisation lui sont réclamés pour plusieurs années et que des pénalités de retard lui sont en outre appliquées. De plus, l’entreprise (qui a alors le statut d’employeur) doit souvent supporter la part salariale des charges sociales puisqu’elle ne peut retenir sur le salaire de l’intéressé rétroactivement que 3 mois de charges, et uniquement si l’emploi est toujours actuel.
Quelles sont les obligations élémentaires d’un employeur allemand au regard du droit de la sécurité sociale ?
En tant que débiteur des cotisations de sécurité sociale, tout employeur doit respecter, dans les meilleurs délais, les obligations auxquelles son statut le soumet (obligation de déclaration, de retenue à la source et de versement des cotisations de sécurité sociale). A ce titre, il se doit également de déterminer si une situation d’emploi salarié existe (§ 7 du Code allemand de la sécurité sociale Livre IV – SGB IV). S’il omet de vérifier l’obligation d’affiliation et de cotisation de la personne concernée et qu’il ne la déclare pas, l’employeur sera le seul, en sa qualité de débiteur des cotisations, à répondre de cette omission envers l’organisme de sécurité sociale. Dans ce domaine, les salariés allemands bénéficient d’une certaine protection puisque l’employeur ne peut leur réclamer la part salariale des cotisations de sécurité sociale que pour les 3 derniers mois. C’est la raison pour laquelle l’employeur doit impérativement évaluer la situation dans les meilleurs délais (§ 28g SGB IV).
Sur quels éléments l’employeur peut-il se baser ?
En principe, seule compte la situation réelle. A cet égard, les juridictions allemandes ont défini, au cours des dernières décennies, des « critères de différenciation » à partir desquels ont été élaborés les marqueurs caractéristiques d’une activité professionnelle salariée, d’une part, et d’une activité indépendante, d’autre part. En fonction de la pondération de ces marqueurs, l’employeur allemand doit déterminer lesquels sont prépondérants : ceux en faveur d’un emploi salarié ou ceux en faveur d’une activité indépendante.
Comment le statut de salarié est-il défini en droit allemand ?
Selon la jurisprudence allemande, le statut de salarié soumis à cotisations sociales s’applique à quiconque est tenu, dans le cadre d’une relation de dépendance à titre personnel, d’effectuer au service d’un tiers et conformément à ses instructions (pouvoir de direction) un travail défini par ce dernier. Ce pouvoir de direction peut concerner l’objet, la réalisation, les horaires et le lieu de l’activité. Est soumis au pouvoir de direction d’un tiers quiconque ne dispose pas d’une large autonomie dans l’organisation de ses activités et de ses horaires de travail. A cet égard, le degré de dépendance personnelle dépend également de la spécificité de l’activité exercée. Pour déterminer l’existence ou non d’un contrat de travail, il convient de considérer la situation dans son ensemble. Si, dans les faits, l’exécution de la relation contractuelle permet de conclure à l’existence d’un contrat de travail, la dénomination dudit contrat par les parties n’a aucune importance (voir l’arrêt du tribunal supérieur du travail de Cologne : 8.5.2019 - 9 Ta 31/19 et BAG, 20.1.2010 - 5 AZR 99/09).
Quelles sont les caractéristiques d’une activité non salariée selon le droit allemand ?
En droit allemand, est réputé exercer une activité indépendante quiconque est libre de prendre des décisions entrepreneuriales. Le travailleur indépendant supporte le risque lié à son activité, il travaille pour son propre compte et en son propre nom, tire lui-même profit des opportunités commerciales et peut faire la promotion de son activité. C’est lui qui supporte les risques liés à son engagement financier et personnel et il ne dépend pas de tiers qui ne peuvent lui donner d’instructions. Le travailleur indépendant organise librement son activité. Il décide de ses horaires et de son lieu de travail, ce qui n’est pas le cas pour une activité indépendante fictive.
Dans le cadre d’une activité salariée en revanche, il existe un certain nombre d’obligations qui donnent au cocontractant (donneur d’ordre, employeur) des moyens de direction et de contrôle auxquels un véritable indépendant ne doit pas se soumettre. La relation de travail se distingue par le degré d’autonomie personnelle dont le collaborateur dispose effectivement pour accomplir ses missions.
Dans quels cas une activité indépendante fictive soumise à cotisations sociales existe-t-elle en Allemagne ?
L’existence d’une activité soumise à cotisations sociales est, à titre d’exemple, présumée dans les cas suivants :
- obligation de respecter certains horaires de travail,
- obligation de travailler dans les locaux du donneur d’ordre ou dans les locaux désignés par lui, ou
- attribution contractuelle de droits à congés payés.
- l’obligation de l’intéressé de rendre compte de son activité de manière détaillée et régulière peut aussi être un critère.
L’obligation illimitée de respecter l’ensemble des instructions émanant du donneur d’ordre constitue généralement un fort indice de l’existence d’une activité salariée, excluant toute activité indépendante. Le fait que le preneur d’ordre utilise des outils de travail tels que l’outillage du donneur d’ordre peut également être le signe d’une activité salariée. De même, l’obligation d’utiliser un certain équipement informatique ou certains logiciels, notamment si cela permet au donneur d’ordre d’exercer un contrôle, peut également être un indice d’une activité salariée.
En pratique toutefois, il est fréquent que les différents critères ou caractéristiques se côtoient. Une qualification claire à première vue est souvent impossible puisqu’il s’agit de termes juridiques mal définis qui ne permettent pas une appréciation universelle et juridiquement sûre. Si des marqueurs des deux modes d’activité coexistent, ce sont ceux qui prédominent en nombre qui sont déterminants. De plus, il existe des critères forts et des critères faibles qu’il convient de pondérer différemment.
Il est également possible de déduire la nature de la relation de travail des termes mêmes du contrat, mais uniquement si le contrat reflète la situation réelle. En cas de divergence entre les termes du contrat et les faits, ce sont ces derniers qui prévalent, évinçant ainsi les dispositions théoriques du contrat.
Quelles sont les possibilités en Allemagne pour s’assurer juridiquement de l’existence d’une activité indépendante réelle ou fictive ?
Pour obtenir une sécurité juridique et écarter toute situation d’activité indépendante fictive, il est possible de recourir :
- à la procédure de vérification du statut proposée par la « Deutsche Rentenversicherung Bund » (DRV Bund - organisme fédéral d'assurance vieillesse),
- à la vérification du statut par une caisse maladie avant le début de l’activité ou
- à un conseil juridique.
La procédure de vérification du statut par la DRV est notamment utile pour obtenir un avis juridique définitif sur la question. Il s’agit d’une procédure purement facultative, qui peut être entamée par l’une ou l’autre des parties (preneur d’ordre et/ou donneur d’ordre). Elle détermine la soumission ou non du collaborateur à un quelconque régime de sécurité sociale et crée ainsi une sécurité juridique vis-à-vis de l’ensemble des organismes sociaux.
A noter qu’une demande auprès de la DRV n’est possible que tant qu’aucune autre procédure administrative n’a été engagée pour déterminer l’obligation de cotisation à la sécurité sociale. La DRV interprète cette règle de manière plutôt stricte et assimile, par exemple, un audit d’entreprise à une procédure administrative. Ceci est le cas également si l’assurance-maladie transmet un questionnaire pour déterminer l’éventuelle obligation d’affiliation.
Conseils pratiques :
- En cas de doutes quant au statut d’un collaborateur, il convient de clarifier la situation au plus vite, au mieux dans le mois suivant le début de l’activité, en sollicitant auprès de la DRV l’ouverture d’une procédure de vérification du statut de l’intéressé.
- Pour ce faire, il faut déposer une demande écrite à laquelle il convient de joindre les accords écrits conclus entre les parties concernant l’activité. A défaut, il convient d’exposer sur une feuille séparée : le contenu, la nature et les conditions d’exercice de l’activité. Après réception de la demande et suite à un premier examen, la chambre fédérale allemande d’arbitrage (« Clearingstelle ») peut, au besoin, demander des informations et, le cas échéant, des pièces complémentaires en fixant un délai pour leur communication. Avant de transmettre son avis définitif, la DRV peut encore procéder à une consultation écrite au cas où elle entendrait défendre une opinion divergente de celle des intéressés.
- Il n’est pas nécessaire d’entamer une procédure de vérification de statut si les intéressés s’accordent sur l’existence d’une activité salariée. Dans ce cas, une telle procédure complexe serait absurde et il convient de déclarer la personne salariée (et non plus preneur d’ordre) auprès des organismes de sécurité sociale compétents.
Qu’est-ce qu’un employeur allemand doit prendre en compte en cas de constatation d’une activité salariée ?
En cas de constatation d’une activité salariée, les revenus perçus sont considérés comme une rémunération soumise à cotisations sociales. En Allemagne, les cotisations sont calculées sur la base des revenus perçus (= rémunération soumise à cotisations sociales) et - contrairement à la France - prises en charge à part égale par l’employeur et par le salarié.
En cas d’existence d’une activité soumise à cotisations sociales, l’employeur allemand est tenu de respecter l’ensemble des obligations résultant des dispositions du code de la sécurité sociale allemand (SGB), notamment l’obligation déclarative prévue par la procédure de déclaration auprès de la sécurité sociale (« Sozialversicherungs-Meldeverfahren » - DEÜV) ou l’établissement de documents relatifs aux rémunérations versées selon les dispositions de la directive allemande sur les cotisations de sécurité sociale (« Beitragsverfahrensverordnung »). Les déclarations doivent être effectuées auprès de la sécurité sociale au moment de l’établissement de la première fiche de paie, et au plus tard dans les 6 semaines suivant le début de l’activité. Est considéré comme début d’activité le moment où l’activité soumise à cotisations sociales débute effectivement.
Quelles sanctions peuvent être prononcées ?
Juger de l’existence d’une obligation d’affiliation ne relève pas du « pouvoir d’appréciation » de l’employeur. Le non-versement des cotisations de sécurité sociale est sanctionné dans la mesure où les cotisations font partie du patrimoine de la sécurité sociale. Le fait de ne pas verser de cotisations de sécurité sociale est un délit pénal, qui peut même être constitué par omission (§ 266a du Code pénal allemand – StGB).
Si l’employeur conclut avec des indépendants fictifs des contrats dont les termes ne reflètent pas la réalité, ces contrats sont même entachés de nullité (§ 32 SGB I). Il est interdit d’exclure une obligation d’affiliation par convention sous seing privé.
Si l’employeur ne respecte pas les obligations essentielles auxquelles le soumet son statut, le législateur postule l’existence d’une situation de travail illégal (§ 14 al. 2 phrase 2 SGB IV). En matière de sécurité sociale, il est procédé dans un premier temps à une estimation de la rémunération nette puis à la fixation du montant des cotisations sur cette base. Le préjudice lié au non-versement des cotisations s’en trouve alors fortement augmenté.
L’obligation de paiement des cotisations se prescrit seulement à l’expiration d’un délai de 30 ans et il est ordonné le versement de majorations de retard.
Quelles conséquences l’indépendance fictive peut-elle avoir en cas d’accident du travail ?
Si l’indépendant fictif est victime d’un accident du travail et s’il s’agit en réalité d’une personne devant être considérée comme un employé soumis au régime obligatoire de sécurité sociale, la caisse d’assurance Accidents pourra se retourner contre l’entrepreneur allemand (art. 110 al. 1a SGB VII), qui sera alors tenu au dédommagement de l’intégralité du préjudice subi par cette dernière et devra prendre en charge l’ensemble des frais tels que frais d’hospitalisation, indemnité due à la victime, soins etc.
Il n’est pas rare que les avis de déclaration soient adressés « a posteriori » aux organismes de sécurité sociale. Dans ces cas précisément, la « Berufsgenossenschaft » (caisse d’assurance des accidents du travail) vérifie la date à laquelle l’assuré victime d’un accident a été affilié à la DRV et postule l’existence d’un travail illégal dans la mesure où la déclaration a été faite tardivement. A cet égard, la « Berufsgenossenschaft » demande à la DRV de lui communiquer la date de réception de la déclaration.
Le risque lié au statut fictif de travailleur indépendant peut-il être évité par la conclusion d’un contrat de services avec une GmbH (société à responsabilité limitée de droit allemand) créée par le preneur d’ordre ?
La création d’une GmbH par le preneur d’ordre a longtemps été considérée comme un moyen de contourner le statut fictif de travailleur indépendant. Dans ce cas en effet, la GmbH jouait le rôle de partenaire contractuel du donneur d’ordre. Cependant, la simple interposition d’une GmbH mandatée pour exercer l’activité en question n’offre aucune sécurité juridique aux parties si, dans le même temps, les critères habituels permettant de distinguer une activité indépendante réelle d’une activité indépendante fictive ne sont pas remplis dans les faits.
S’il est vrai qu’un gérant unique ou un gérant associé majoritaire d’une GmbH n’est pas soumis à l’obligation d’affiliation et de cotisation à la sécurité sociale vis-à-vis de sa propre GmbH, dans la mesure où il est considéré de ce point de vue comme un entrepreneur indépendant, ceci n’a aucune influence sur le statut du gérant associé vis-à-vis du donneur d’ordre, qui fait quant à lui l’objet d’une appréciation séparée.
Dans le cadre de relations de travail typiques notamment, la création d’une GmbH unipersonnelle ne peut conduire à éviter qu’une relation de travail ne soit soumise à l’obligation de cotisation à la sécurité sociale. En fonction de l’appréciation des circonstances réelles, les intéressés sont considérés, selon la pratique habituelle des organismes allemands de sécurité sociale et la jurisprudence des tribunaux allemands du contentieux social, comme étant intégrés dans l’organisation du travail du donneur d’ordre et liés par les instructions de ce dernier (voir la circulaire des fédérations allemandes des caisses de sécurité sociale : Rundschreiben der Spitzenverbände der Sozialversicherungsträger v. 13.04.2010, 3.3 Abs. 2. 4 Satz 1 u. 2).
Le risque d’activité indépendante fictive qu’engendre la conclusion d’un contrat de services avec une GmbH (à associé unique ou majoritaire) ne peut être évité que s’il est veillé à ne pas réunir en l’espèce les caractéristiques typiques d’une activité exercée dans le cadre d’un lien de dépendance. Cela suppose avant tout que le gérant associé ne soit en aucun cas intégré dans l’entreprise du donneur d’ordre ni tenu de suivre les instructions de ce dernier.
En règle générale, lorsqu’un présumé sous-traitant indépendant exerce sous le statut juridique d’une GmbH, le risque de découverte du caractère fictif de son activité indépendante est donc au mieux minimisé. De plus, la création d’une GmbH entraîne des frais d’exploitation nettement plus élevés pour le preneur d’ordre.
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