Avertissement d'un salarié préalablement à son licenciement pour motif réel et sérieux (« ordentliche Kündigung »)
8 juin 2020
En général, le droit de travail allemand exige que l’employeur adresse un avertissement (« Abmahnung »)préalable à l’employé qu’il souhaite licencier et que cet avertissement soit resté infructueux. Ainsi, en Allemagne, un licenciement pour motif réel et sérieux avec préavis (« ordentliche Kündigung ») doit impérativement être précédé d’un avertissement pertinent, à la suite duquel le salarié n’a pas modifié son comportement. Tout salarié faisant l’objet d’un avertissement doit disposer d’un laps de temps suffisant afin de lui permettre de remédier à la situation et de et corriger son comportement (phase d’amélioration). La durée de cette « phase d’amélioration » est à fixer au cas par cas. Il existe à ce sujet une jurisprudence allemande pléthorique. L'avertissement est source de nombreuses erreurs. Pour sécuriser au maximum un avertissement du point de vue juridique, les employeurs en Allemagne doivent respecter les exigences du droit du travail allemand tant sur le fond que sur la forme.
Il convient tout d'abord de noter qu’en Allemagne, l'avertissement n'est pas réglementé par la loi et qu’en conséquence, il n'y a ni formes, ni délais légaux à respecter à cet égard. Cela dit, pour s’assurer que son avertissement soit effectivement reconnu par les tribunaux, tout employeur allemand serait bien avisé de prendre connaissance et d’observer les conditions d’ordre général développées par la jurisprudence en la matière.
Le licenciement étant une mesure particulièrement drastique du droit du travail, le fait pour un employeur de se séparer d’un salarié devrait toujours constituer l’ultime recours en cas de problèmes. En cas de comportement fautif de la part du salarié, l'employeur en Allemagne doit, dans un premier temps, considérer que l'employé peut changer d’attitude à l’avenir. En conséquence, il doit adresser un avertissement au salarié préalablement à son éventuel licenciement pour motif personnel, si tant est que la loi allemande sur la protection contre le licenciement abusif (« Kündigungsschutzgesetz ») soit applicable à la relation de travail.
La jurisprudence de la Cour fédérale du travail exige en règle générale qu’avant de prononcer un licenciement pour motif personnel, lorsque la relation de travail est soumise à la protection générale contre le licenciement abusif conformément à la loi allemande relative à la protection contre les licenciements abusifs (« Kündigungsschutzgesetz » ou « KSchG »), l’employé doit avoir reçu un avertissement valable. Par le biais de cet avertissement, qui diffère d’un simple rappel à l’ordre, il lui est rappelé qu’il doit respecter les obligations découlant de son contrat de travail et qu’en cas de répétition de ce comportement fautif il encourt une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.
Remarque : Dans les entreprises allemandes de plus de 10 salariés, la loi allemande KSchG s’applique à tout salarié ayant une ancienneté d’au moins 6 mois. Elle prévoit qu’un motif de licenciement doit exister pour justifier un licenciement. En contrepartie, si l’entreprise allemande n’emploie pas plus de 10 salariés, elle peut licencier un salarié librement sans indication de motif.
En Allemagne, l'avertissement peut exceptionnellement être considéré comme superflu s'il apparaît inutile dans la mesure où on ne peut pas s’attendre à un changement de comportement de la part du salarié ou parce que le manquement qui lui est reproché est tout simplement trop grave. Dans de tels cas, un licenciement sans préavis pour motif grave (« sofortige außerordentliche Kündigung ») est généralement possible.
Sous quels délais l’avertissement doit-il être adressé au salarié en Allemagne ?
En cas de litige, l'employeur doit être en mesure de démontrer et de prouver le bien-fondé de l'avertissement, et donc la violation concrète par le salarié de ses obligations contractuelles. Il n'existe pas de délai concret au terme duquel le salarié ne pourrait plus valablement faire l’objet d’une telle mesure disciplinaire. Toutefois, d’après la jurisprudence, l'avertissement devrait être rapidement notifié au salarié après que l’employeur ait eu connaissance du manquement reproché. En pratique, il est conseillé de prononcer un avertissement immédiatement et au plus tard quatre semaines après avoir eu connaissance du manquement. A défaut, le salarié pourrait avoir l'impression que l'employeur a implicitement accepté son comportement inapproprié.
Quelle est la durée de validité d'un avertissement en Allemagne (prescription) ?
Le droit du travail allemand ne prévoit pas de prescription en matière d’avertissement. Ce qui signifie que, d’un point de vue juridique, il n'y a pas de moment précis à partir duquel l'avertissement n’aurait plus d’effets. Toutefois, en raison même de sa fonction « de signal d'alerte » transmis au salarié, l’avertissement perd de sa signification avec le temps dès lors que l'employé agit sur une longue période toujours conformément à ses obligations contractuelles ou que le comportement qui lui est reproché est devenu insignifiant pour la relation de travail. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale du travail allemande, les circonstances du cas d'espèce revêtent une importance particulière à cet égard.
Forme de l'avertissement en Allemagne - écrit ou verbal ?
En principe, aucune forme écrite n'est prescrite pour l’avertissement. En théorie, l’avertissement peut donc aussi être adressé verbalement au salarié. Toutefois, dans la mesure où, en cas de litige, l'employeur doit pouvoir prouver les circonstances qui ont conduit à l’avertissement, il est tout à fait pertinent de procéder à une notification par écrit – en indiquant dans le courrier la mention "avertissement".
Qui peut adresser un avertissement en Allemagne ?
Toute personne au sein de l'entreprise n’est pas autorisée à adresser un avertissement, avec les conséquences qui en découlent selon le droit du travail. Sont autorisées à délivrer un tel avertissement, tous les salariés étant par ailleurs habilités à donner des instructions contraignantes à l'employé concerné portant sur le lieu, les horaires et la nature de la prestation de travail due aux termes du contrat de travail. Il s’agit généralement du supérieur hiérarchique direct.
Le comité d'entreprise (« Betriebsrat ») doit-il être impliqué en cas de notification d’un avertissement en Allemagne ?
Contrairement à ce que prévoit la législation française, l’employeur n’est pas tenu en Allemagne d’organiser des élections en vue de la mise en place d’un comité d’entreprise (CSE / comité social et économique) lorsque l’effectif de l’entreprise atteint un certain seuil. C'est aux salariés de prendre l’initiative de mettre en place un CE / CSE, ce qui est possible à partir d’un effectif de 5 personnes.
Lorsqu’une entreprise en Allemagne dispose d’un comité d’entreprise, il n'est pas obligatoire de l’impliquer dans le processus d'avertissement. Ceci ne vaut toutefois pas si, suite à l’avertissement, le salarié concerné est finalement licencié pour motif personnel. En pratique toutefois, il n’est pas rare que le comité d’entreprise soit informé par l'employeur de la notification d’un avertissement. Et ce notamment parce que le salarié ayant fait l’objet de l’avertissement a le droit de se plaindre auprès du comité d’entreprise de ce que cet avertissement l’aurait désavantagé ou serait caractéristique d’un traitement injuste. A noter qu’en Allemagne, le comité d’entreprise ne peut exiger de l’employeur qu’il l’informe des avertissements prononcés.
Quel contenu un avertissement en Allemagne devrait-il avoir ?
Pour que l'avertissement allemand soit valable, il faut que son contenu ait une fonction de réclamation et de documentation ainsi qu’une fonction d'alerte. Pour éviter que le salarié ne puisse exiger ultérieurement le retrait de l’avertissement de son dossier personnel ou que l'avertissement soit reconnu comme insuffisant dans le cas d'un licenciement pour motif personnel subséquent, l’employeur doit respecter ce qui suit :
- Le manquement à l’obligation doit être décrit de façon concrète (date, heure).
- Le grief concret de manquement à une obligation doit être formulé en exposant exactement les faits (fonction de réclamation et de documentation de l'avertissement). Le salarié doit clairement comprendre l’obligation à laquelle il est tenu et qu’en l’occurrence il n’a pas respectée. Il ne suffit pas que l’employeur fasse un reproche d’ordre général tel que "votre comportement est inacceptable", "vos performances laissent à désirer" ou "vous arrivez toujours trop tard".
- Indication de la mise en danger de la relation de travail en cas de récidive (fonction d'alerte de l'avertissement).
En Allemagne, l'employeur n'est pas tenu d’exposer concrètement les conséquences exactes d'une récidive de l’attitude fautive du salarié, tel qu'un autre avertissement, un licenciement avec préavis pour motif réel et sérieux (« ordentliche Kündigung ») ou un licenciement sans préavis pour motif grave (« außerordentliche Kündigung ») dans la mesure où l’employeur ne doit en aucun cas faire croire au salarié qu’il prendra l'une après l'autre toutes les mesures envisageables avant de le licencier en ultime recours. La conséquence pour la relation de travail dépend toujours de la gravité du manquement constaté au cas d'espèce.
Il est néanmoins recommandé aux employeurs allemands de faire concrètement référence au licenciement comme conséquence du manquement du salarié afin de lui faire comprendre la gravité de la situation. Il est également conseillé de faire apparaître le terme "avertissement" dans l’intitulé du courrier et d’indiquer clairement la raison de l'avertissement, c'est-à-dire d’exposer le grief précis, pour que l’intéressé puisse comprendre les faits et qu’il sache immédiatement ce qu'il doit changer.
Quels sont les motifs pouvant justifier un avertissement en Allemagne ?
Il existe diverses raisons pour lesquelles un employeur peut déplorer le comportement de ses salariés. Toutefois, d'un point de vue juridique, toutes les attitudes qui lui déplaisent sont loin de constituer un motif suffisant pour justifier un avertissement. Il doit notamment s'agir de la violation par le salarié d'une véritable obligation contractuelle à laquelle il est soumis. A titre d’exemple, peuvent notamment constituer un motif justifiant un avertissement :
- la consommation d'alcool en dépit d'une interdiction licite,
- la violation de l’obligation de déclaration et de preuve en cas de maladie,
- le refus de travailler,
- tout comportement fautif en dehors des heures de travail ayant des effets néfastes pour l'employeur,
- la calomnie,
- le fait de troubler la paix dans l'entreprise (par exemple : dénonciation de collègues, insultes, attitude incitative....),
- une absence non justifiée,
- des performances de travail faibles ou mauvaises,
- tout manquement aux obligations de protection (p. ex. dommages causés aux biens de l'employeur),
- des retards.
Dans quel(s) cas peut-on se passer d’un avertissement en Allemagne ?
De manière générale, l’avertissement doit toujours être prononcé en amont d’un licenciement. Seulement dans de rares cas, il est admissible de renoncer à un avertissement. Cela est notamment possible lorsque le manquement est d’une telle gravité qu’il est évident pour le salarié qu’il a non seulement manqué à ses obligations mais également que l’employeur ne saurait tolérer un tel comportement de sa part. Ceci doit être jugé au cas par cas par les tribunaux. Même si un avertissement semble d’avance voué à l’échec parce que le salarié n’est par exemple manifestement pas disposé de se conformer à son contrat, il est possible de se passer de l’avertissement.
Pendant combien de temps une entreprise allemande peut-elle conserver un avertissement dans le dossier personnel du salarié ?
En Allemagne, l’avertissement adressé à un salarié est généralement conservé dans le dossier personnel (« Personalakte ») que tout employeur tient pour chaque salarié. Même s'il n'existe pas en Allemagne de délai légal de conservation des dossiers personnels, il n’est pas rare que les entreprises allemandes conservent les documents concernant leurs anciens salariés pendant de nombreuses années. Un salarié ne peut demander à son employeur le retrait de l’avertissement de son dossier personnel que dans des conditions très particulières. Tout d'abord, il y a lieu de distinguer si l'avertissement a été prononcé à juste titre ou non. La possibilité de retirer la lettre d’avertissement du dossier personnel dépend également de ce que le salarié fait encore ou non partie des effectifs de l'entreprise.
Par principe, tout salarié peut faire supprimer ou rectifier les informations erronées enregistrées dans son dossier personnel. L’employeur a donc l’obligation de retirer du dossier du salarié tout avertissement dont il n’aurait pas dû faire l’objet. Pour un avertissement justifié, la situation est toutefois différente. Fondamentalement, il n'y a pas de délai de prescription à cet égard. Cela signifie que l’avertissement reste valable et que – contrairement à ce que l’on suppose parfois, à tort – il ne perd pas sa validité au-delà de deux ans. En d’autres termes, il n'y a pas de date d'expiration au-delà de laquelle un avertissement doit être retiré du dossier du salarié.
A quel moment l'employeur allemand doit-il annuler un avertissement et le retirer du dossier personnel ?
Si un avertissement n’est pas conforme, c'est-à-dire :
- s’il contient des allégations inexactes concernant les faits pouvant avoir une incidence sur le statut juridique et le parcours professionnel du salarié, ou
- si l’avertissement a été formulé dans des termes trop vagues, ou
- s’il contrevient au principe de proportionnalité (des sanctions),
le salarié peut demander l’annulation de l'avertissement dont il a fait l’objet ainsi que le retrait de la lettre d'avertissement de son dossier personnel, le cas échéant par une action en justice.
A noter : Pendant longtemps, s’agissant des avertissements justifiés, les tribunaux allemands ont reconnu aux salariés le droit, après une période de 2 ou 3 ans – pendant laquelle ils s’étaient comportés correctement –, de demander à leur employeur de retirer l'avertissement de leur dossier personnel. Cependant, il y a de cela quelque temps déjà, la Cour fédérale du travail (BAG) a opéré un revirement de jurisprudence à cet égard. Bien que, pour justifier valablement d’un licenciement pour motif personnel, un employeur allemand ne puisse depuis lors plus se prévaloir d’un avertissement adressé au salarié 2 ou 3 ans auparavant (dans la mesure où, passé ce délai, l’avertissement perd sa fonction d'alerte), il ne doit cependant retirer l’avertissement du dossier personnel du salarié que s'il n'existe pour l’employeur aucun intérêt légitime à sa conservation. En effet, la conservation de l’avertissement peut continuer à être pertinente pour l'employeur, notamment s’il doit ultérieurement décider d’une mutation ou d’une promotion du salarié, lui établir un certificat de travail supposant l’évaluation de son travail ou pour décider de son éventuel licenciement. Ainsi, selon la jurisprudence actuelle du BAG, l'employeur peut donc conserver l'avertissement dans le dossier du salarié bien au-delà d’une période de 3 ans.
La question de savoir si le comportement motivant la lettre d’avertissement a ou non, d’un point de vue juridique, perdu sa pertinence au regard de la relation de travail est à trancher par les tribunaux au cas par cas. En ce qui concerne à tout le moins les manquements mineurs, l’avertissement devra normalement être retiré du dossier personnel au bout de 2 ou 3 ans si, au cours de cette période, il ne peut plus être reproché quoi que ce soit au salarié.
L'employeur allemand doit-il retirer un avertissement du dossier personnel du salarié après la cessation de la relation de travail ?
Le droit pour un salarié de demander le retrait de l'avertissement de son dossier personnel n'existe que si la relation de travail est en cours. Après la cessation de la relation de travail, le salarié a certes le droit de consulter le dossier personnel conservé par son ancien employeur, mais il n'a généralement plus le droit de demander le retrait d’un avertissement, même injustifié. Un tel droit peut, au cas par cas, être reconnu au salarié à titre exceptionnel s'il existe des éléments objectifs indiquant qu'un avertissement pourrait encore lui nuire au-delà de la cessation de la relation de travail.
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