Entreprendre en Allemagne : Risques liés au statut fictif de travailleur indépendant (« Scheinselbständigkeit »)
La question du statut fictif de travailleur indépendant se pose en permanence aux entreprises allemandes. Il est souvent difficile en Allemagne de déterminer si un preneur d’ordre exerce à titre de travailleur indépendant ou pas dans la mesure où des règles légales précises font défaut en la matière. Parmi les nombreuses formes que peut revêtir l’activité de collaborateurs externes, il est difficile pour les entrepreneurs accordant des marchés de déterminer à partir de quand les preneurs d’ordre sont effectivement intégrés dans leur structure et exercent donc leur activité dans le cadre d’un lien de subordination, ce qui leur confère alors le statut de salariés soumis à l’obligation de cotiser à la sécurité sociale.
Sur quels éléments l’employeur peut-il se baser ?
En principe, seule compte la situation réelle. A cet égard, les juridictions allemandes ont défini au cours des dernières décennies des « critères de différenciation » à partir desquels ont été élaborés des éléments marquants caractérisant une activité professionnelle salariée d’une part et d’autres
éléments marquants définissant une activité indépendante d’autre part. En fonction de la pondération de ces éléments, l’employeur allemand doit déterminer quels arguments sont prépondérants : ceux en faveur d’un emploi salarié ou ceux en faveur d’une activité indépendante. Cette entreprise se révèle à certains égards particulièrement difficile et toute mauvaise décision peut avoir de lourdes conséquences.
Quelles sont les obligations élémentaires d’un employeur allemand au regard du droit de la sécurité sociale ?
En tant que débiteur des cotisations de sécurité sociale, tout employeur doit respecter dans les meilleurs délais les obligations auxquelles son statut le soumet (obligation de déclaration, de retenue à la source et de versement des cotisations de sécurité sociale). A ce titre, il se doit également de déterminer si une situation d’emploi salarié existe (§ 7 du Code allemand de la sécurité sociale Livre IV – SGB IV). S’il omet de vérifier l’obligation d’affiliation et de cotisation de la personne concernée et qu’il ne la déclare pas, l’employeur sera le seul, en sa qualité de débiteur des cotisations, à répondre de cette omission envers la sécurité sociale. Dans ce domaine, les salariés allemands bénéficient d’une certaine protection puisque l’employeur ne peut leur réclamer la part salariale des cotisations de sécurité sociale que pour les 3 derniers mois. C’est la raison pour laquelle l’employeur doit évaluer la situation dans les meilleurs délais (§ 28g SGB IV).
Comment l’employeur allemand peut-il se protéger ?
Dès qu’il a des doutes sur l’existence d’une situation d’emploi salarié, l’employeur doit prendre contact avec un « organisme compétent ». Dans les cas complexes, il peut recevoir le soutien de la chambre fédérale allemande d’arbitrage en matière d’assurance vieillesse (Clearingstelle der Deutschen Rentenversicherung (DRV) Bund). Celle-ci statue gracieusement, dans le cadre d’une procédure facultative, sur la question de savoir si une situation d’emploi salarié existe ou pas. Si une demande en ce sens est formulée dans les 4 semaines suivant le début d’activité, il peut même être accordé une protection garantie par la loi aux personnes de bonne foi (« Vertrauensschutz »). En effet, les cotisations ne sont à verser qu’une fois la décision définitive prise et uniquement pour l’avenir, pour autant que l’assuré donne son accord et qu’il a pris des dispositions en ce sens. Quiconque dépose une demande en constatation d’état (« Statusfeststellungsantrag ») au-delà du délai de 4 semaines, ou ne dépose aucune demande en ce sens, doit s’acquitter des cotisations dès le départ. A cet égard, il peut se voir réclamer des arriérés importants, voire également être sanctionné.
Quelles sanctions peuvent être prononcées ?
Juger de l’existence d’une obligation d’affiliation ne relève pas du « pouvoir d’appréciation » de l’employeur. Le non-versement des cotisations de sécurité sociale est sanctionné dans la mesure où les cotisations font partie du patrimoine de la sécurité sociale. Le fait de ne pas verser de cotisations de sécurité sociale est un délit pénal, qui peut être constitué même par omission (§ 266a du Code pénal allemand – StGB).
Si l’employeur conclut avec des indépendants fictifs des contrats dont les termes ne reflètent pas la réalité, ces contrats sont même entachés de nullité (§ 32 SGB I). Il est interdit d’exclure une obligation d’affiliation par convention sous seing privé.
Si l’employeur ne respecte pas les obligations essentielles auxquelles le soumet son statut, le législateur postule l’existence d’une situation de travail illégal (§ 14 al. 2 phrase 2 SGB IV). En matière de sécurité sociale, il est procédé dans un premier temps à une estimation de la rémunération nette puis à la fixation du montant des cotisations sur cette base. Le préjudice lié au non-versement des cotisations s’en trouve alors fortement augmenté.
Les cotisations se prescrivent seulement à l’expiration d’un délai de 30 ans et il est ordonné le versement de majorations de retard.
Quelles conséquences l’indépendance fictive peut-elle avoir en cas d’accident du travail ?
Si l’indépendant fictif est victime d’un accident du travail et s’il s’agit en réalité d’une personne devant être considérée comme un employé soumis au régime obligatoire de sécurité sociale, la caisse d’assurance Accidents pourra se retourner contre l’entrepreneur allemand (art. 110 al. 1a SGB VII), qui sera alors tenu au dédommagement de l’intégralité du préjudice subi par cette dernière et devra prendre en charge l’ensemble des frais tels que frais d’hospitalisation, indemnité due à la victime, soins etc.
Il n’est pas rare que les avis de déclaration soient adressés « a posteriori » aux organismes de sécurité sociale. Dans ces cas précisément, la Berufsgenossenschaft (caisse d’assurance des accidents du travail) vérifie la date à laquelle l’assuré victime d’un accident a été affilié à la DRV et postule l’existence d’un travail illégal dans la mesure où la déclaration a été faite tardivement. A cet égard, la Berufsgenossenschaft demande à la DRV de lui communiquer la date de réception de la déclaration.