Prêt de main d’œuvre de la France vers l'Allemagne ou conclusion d'un contrat de service avec le client allemand ?
11 juin 2020
Les entreprises françaises qui détachent leurs propres salariés en Allemagne dans le cadre d’un prêt de main d’œuvre pour la réalisation d’un projet ont l’obligation de se conformer aux dispositions strictes du droit du travail allemand.
Ainsi, par exemple, la société prêteuse française doit être titulaire d'une autorisation de prêt de main d’œuvre délivrée par l'Agence fédérale allemande pour l'emploi (« Bundesagentur für Arbeit ») et la rémunération du salarié français détaché doit, pendant la durée de sa mise à disposition, être au moins égale à la rémunération (souvent supérieure) d'un salarié de l'entreprise utilisatrice allemande exerçant des fonctions comparables. Il existe toutefois la possibilité d'éluder ces règles strictes au cas par cas, le cas échéant, en concluant avec le client allemand un contrat de prestation de services.
Selon le droit du travail allemand, constitue un prêt de main d’œuvre la mise à disposition temporaire d'un salarié (travailleur intérimaire) par un entrepreneur (prêteur) à un tiers (utilisateur) pour effectuer un travail.
Le travailleur mis à disposition, qui reste lié par son contrat de travail avec le prêteur, est tenu de travailler pour l'entreprise utilisatrice en se conformant aux instructions qu’elle lui donne. En vertu de la loi allemande et de la jurisprudence rendue en la matière, il y a prêt de main d’œuvre pour l’exécution d’un travail dès lors que :
- des salariés sont mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice,
- que ces salariés sont intégrés dans la marche de cette entreprise
- et qu’ils exécutent leur travail exclusivement sur la base des instructions données par l’entreprise utilisatrice et dans l’intérêt de cette dernière.
A contrario, on ne peut pas parler de prêt de main d’œuvre au sens de la loi allemande relative au prêt de main d’œuvre (« Arbeitnehmerüberlassungsgesetz », en abrégé « AÜG ») si le recours à du personnel externe s’effectue sur la base d’un contrat de service ou d’un contrat d’entreprise. En Allemagne, ces types de contrats sont nettement moins strictement réglementés par la loi que le prêt de main d’œuvre et ne requièrent, en particulier, aucune autorisation.
Pour pouvoir distinguer un contrat d’entreprise / de service d’un prêt de main d’œuvre d'un point de vue juridique, seule compte l'exécution effective du contrat. Selon la jurisprudence allemande, les conséquences juridiques recherchées par les parties au contrat ou une désignation du contrat ne correspondant pas à son contenu n’ont aucune importance à cet égard.
Si un donneur d’ordre allemand et un prestataire externe conviennent d’une activité dans le cadre d'un contrat de service librement négocié entre eux, la question de savoir si les salariés du prestataire externe exécutent effectivement leur mission en qualité de préposés du prestataire dans le cadre d’un contrat de service ou s’il s’agit d’un prêt de main d’œuvre dissimulé, dépend essentiellement de l’identité de la personne donnant aux salariés (ouvertement ou de manière déguisée) les instructions typiques d'un contrat de travail.
Dès lors que dans les faits, les instructions de travail sont données par l’entreprise cliente, on est en présence d’un prêt de main d’œuvre avec toutes les obligations qui en découlent et non pas d’un contrat de service ou de prestation de services, et cela quel que soit l’intitulé du contrat conclu avec le client allemand. Le contrat de service, dans le cadre duquel les salariés intervenant chez le client agissent en tant que préposés du prestataire, est très proche du prêt de main d’œuvre, de sorte qu'une tentative de contournement de la réglementation applicable en matière de prêt de main d’œuvre par la conclusion d’un contrat de service s’avère souvent périlleuse.
Le recours abusif aux contrats de service et aux contrats d’entreprise par le passé a fait l'objet de nombreux débats, notamment dans la presse allemande. En réponse à ces abus, la loi allemande sur le prêt de main d’œuvre a renforcé les dispositions applicables en la matière. Ainsi, depuis le 1er avril 2017, tout prêt de main d’œuvre doit être expressément convenu comme tel entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice. En outre, le travailleur intérimaire doit être expressément désigné avant sa mise à disposition et doit lui-même être informé de ce que son activité relève d’un prêt de main d’œuvre. En cas de non-respect de ces règles, non seulement le contrevenant s’expose à une amende (pouvant aller jusqu'à 30.000 €), mais un contrat de travail entre l’entreprise utilisatrice et le travailleur intérimaire est réputé exister.
La conclusion de contrats de prestation de services avec des clients allemands pourrait bien être un moyen d'éluder les règles strictes en matière d’égalité des salaires prévues par la loi allemande sur le prêt de main d’œuvre. Le fait pour des prestataires français d’envoyer leurs spécialistes sur place chez un client allemand pour une période relativement longue ne constitue pas nécessairement un prêt de main d’œuvre dissimulé. Pour qu'en application du droit du travail allemand, la conclusion d’un contrat de service ne soit pas considérée comme un prêt de main d’œuvre dissimulé illicite, il convient d’intégrer dans ledit contrat de service avec le client allemand un descriptif le plus précis possible des missions à réaliser et de convenir de manière claire de ce que les salariés de la société française ne recevront d’instructions que de leurs propres collègues et/ou supérieurs hiérarchiques et qu’ils ne pourront eux-mêmes donner d’instructions qu’à leurs propres collègues.
Il convient toutefois de rappeler, là encore, que ce n'est pas seulement ce qui est convenu par écrit entre l'entreprise française et le client allemand qui importe, mais avant tout la manière dont le contrat est effectivement exécuté en pratique.
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