Prêt de main d’œuvre en Allemagne : les règles à respecter par les entreprises prêteuses et utilisatrices suite à la grande réforme de 2017 ?
11 juin 2020
Le 1er avril 2017 est entrée en vigueur la réforme de la loi allemande sur le prêt de main d’œuvre (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz, en abrégé « AÜG »). L’objectif principal de la nouvelle règlementation est de clarifier la notion de prêt de main d’œuvre en Allemagne (Arbeitnehmerüberlassung) afin d’empêcher le contournement des règles qui lui sont applicables.
- Tout travailleur intérimaire ne peut être mis à la disposition d’une même entreprise au-delà d’une période de 18 mois consécutifs. Au-delà de cette période, l’entreprise utilisatrice devient automatiquement l’employeur du salarié mis à disposition.
- Le travailleur intérimaire peut cependant être réembauché par l’entreprise utilisatrice à condition de respecter une période de carence de trois mois. Une convention collective de branche applicable à l’entreprise utilisatrice peut toutefois prévoir une disposition dérogatoire.
- Si la réforme voulue par le législateur n’a pas remis en cause le principe de base de l’égalité de traitement (« Equal Treatment »)selon lequel, en matière de rémunération, les intérimaires doivent être traités à égalité avec le personnel de l’entreprise utilisatrice dès le premier jour de leur mission, il existe désormais la possibilité de déroger à ce principe au cours des neuf premiers mois de la mission à effectuer pour le compte de l’entreprise utilisatrice, si une convention collective le prévoit. Au bout de neuf mois de mission, le travailleur intérimaire peut prétendre à l’égalité de traitement.
- Dès lors que l’entreprise utilisatrice est touchée par un conflit social, elle ne peut faire appel au travailleur intérimaire pendant cette période si le motif justifiant la mise à disposition de ce dernier est précisément le conflit social et le remplacement de salariés impliqués dans une grève.
- De nouvelles règles ont été introduites concernant le contrat liant l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice :
Les principales nouveautés introduites par la loi récemment adoptée sont les suivantes :
- Il existe désormais des obligations générales d’identification et de documentation, parmi lesquelles l’obligation de désigner comme telle la convention de mise à disposition d’un salarié, sous peine d’amende.
- Interdiction d’appliquer la « Fallschirmlösung », littéralement « solution du parachute » : dans le domaine de l’intérim, jusqu’à présent, les entreprises recouraient fréquemment à cette solution qui consistait, pour les entreprises prêteuses et utilisatrices, à conclure un contrat qualifié de « contrat d’entreprise » en lieu et place d’une convention de mise à disposition d’un salarié. L’entreprise prêteuse se faisait toutefois délivrer une autorisation de prêt de main d’œuvre à titre préventif, au cas où le prétendu contrat d’entreprise se révèlerait être en réalité un prêt de main d’œuvre dissimulé. Un tel procédé n’est désormais plus possible en raison des obligations d’identification mises en place par le législateur allemand. Tout manquement à cet égard est passible d’une amende et peut avoir pour conséquence la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail entre le travailleur intérimaire et l’entreprise utilisatrice. A noter toutefois que le travailleur intérimaire peut demander la poursuite de son contrat de travail avec l’entreprise prêteuse.
Quelles sont les règles de calcul de la période de 18 mois ?
La période de 18 mois, qui constitue désormais la durée légale maximale de mise à disposition d’un salarié auprès d’une même entreprise, se calcule sur la base des périodes de mise à disposition du salarié et non sur la base de la durée du projet dans le cadre duquel il effectue sa mission.
Ainsi, les périodes antérieures de mise à disposition du salarié par la même ou par une autre entreprise prêteuse au profit de la même entreprise utilisatrice sont à prendre en compte dans leur intégralité dès lors que ces missions d’intérim sont espacées de moins de trois mois.
Le salarié peut être réembauché par l’entreprise utilisatrice après une période de carence de trois mois, et ce indépendamment du projet sur lequel il travaille au sein de cette dernière.
L’entreprise utilisatrice a la possibilité de remplacer temporairement le travailleur intérimaire par un autre intérimaire ou d’interrompre la convention de mise à disposition en faisant travailler l’intérimaire au sein d’une filiale p. ex., pendant au moins 3 mois et 1 jour.
Quels risques les entreprises encourent-elles en cas de non-respect des nouvelles règles ?
Les principaux risques encourus en cas de dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition et en cas de non‑respect de l’une ou l’autre des nouvelles règles mentionnées ci‑dessus sont les suivants :
- Caducité du contrat d’intérim entre le salarié et l’entreprise prêteuse et reconnaissance par les tribunaux d’une relation de travail fait entre le salarié et l’entreprise utilisatrice ;
- Responsabilité solidaire de l’entreprise prêteuse et de l’entreprise utilisatrice au regard du versement des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu ;
- Conséquences sur la convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice ;
- Droit à dommages et intérêts du travailleur intérimaire à l’encontre de l’entreprise prêteuse ;
- Reconnaissance d’une infraction commise par l’entreprise prêteuse ;
- Refus ou non-renouvellement de l’autorisation de prêt de main d’œuvre de l’entreprise prêteuse.
1. Caducité du contrat d’intérim entre l’entreprise prêteuse et le salarié :
Dans le cadre de la réforme de la législation allemande en matière de prêt de main d’œuvre, le législateur a introduit deux nouveaux cas de caducité du contrat de travail entre le travailleur intérimaire et l’entreprise prêteuse (§ 9 al. 1 n° 1a et 1b AÜG), lesquels font naître une relation de travail de fait avec l’entreprise utilisatrice. Il s’agit en l’occurrence des cas suivants :
- le contrat conclu avec l’entreprise utilisatrice n’est pas qualifié de contrat de prêt de main d’œuvre et l’identité du travailleur intérimaire n’y figure pas, ou
- la durée maximale autorisée de mise à disposition est dépassée.
La relation de travail de fait résulte d’une norme impérative de protection des salariés. Par conséquent, il n’est pas possible d’aménager contractuellement une disposition qui ferait échec à la reconnaissance d’une telle relation de travail.
Conformément à la nouvelle loi adoptée, en cas de dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition, le travailleur intérimaire a le droit de choisir de poursuivre sa relation de travail avec l’entreprise prêteuse ou avec l’entreprise utilisatrice. En principe, le travailleur intérimaire dispose d’un délai d’un mois à compter du dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition pour faire part de son souhait de poursuivre son contrat de travail avec l’entreprise prêteuse, par déclaration écrite adressée indifféremment à l’entreprise prêteuse ou à l’entreprise utilisatrice (« Festhaltenserklärung », littéralement « déclaration de maintien »).
Conseils pratiques :
1. L’entreprise utilisatrice peut mettre fin à une relation de travail de fait à durée indéterminée dans les 6 mois suivant le dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition du salarié sans être tenue au respect des règles de droit commun en matière de protection contre le licenciement abusif. Si le travailleur intérimaire ne procède pas à la déclaration de maintien visée ci-dessus, il court le risque que la relation de travail de fait lui soit défavorable.
2. Si l’exécution du contrat d’intérim conclu avec l’entreprise prêteuse est poursuivie malgré la caducité du contrat, l’entreprise prêteuse et le travailleur intérimaire sont liés par les principes du contrat de travail de fait, c’est-à-dire que le contrat d’intérim devenu caduc est considéré comme valable pendant sa durée d’exécution. Chaque partie peut néanmoins mettre fin à tout moment au contrat de travail de fait, par déclaration unilatérale, qui n’aura d’effet que pour l’avenir.
2. Responsabilité solidaire de l’entreprise prêteuse et de l’entreprise utilisatrice au regard du versement des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu
En cas de dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition et de naissance d’une relation de travail de fait avec l’entreprise utilisatrice, il existe une responsabilité solidaire de l’entreprise prêteuse et de l’entreprise utilisatrice. Si l’entreprise prêteuse verse au travailleur intérimaire tout ou partie de la rémunération convenue, sa responsabilité est engagée aux côtés de l’entreprise utilisatrice en tant que codébitrice in solidum pour ce qui concerne également les accessoires du salaire qui auraient dû être payés à un tiers dans le cadre d’un contrat de travail valable (voir § 10 al. 3 AÜG). Ceci concerne notamment les cotisations sociales et l’impôt sur le revenu.
3. Conséquences sur la convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice
À défaut d’une réglementation claire et d’une jurisprudence pertinente en la matière, on considère actuellement qu’une convention de mise à disposition conclue entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice reste en principe valable en cas de dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition.
4. Droit à dommages et intérêts du travailleur intérimaire à l’encontre de l’entreprise prêteuse
En cas de caducité du contrat d’intérim suite au dépassement de la durée maximale autorisée de mise à disposition, le travailleur intérimaire peut, le cas échéant, se prévaloir à l’encontre de l’entreprise prêteuse de droits à dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de la présumée validité du contrat d’intérim. En font notamment partie les préjudices subis par le travailleur intérimaire du fait du non-respect par l’entreprise utilisatrice de ses obligations découlant de la relation de travail de fait. De plus, le travailleur intérimaire doit être indemnisé des préjudices subis du fait de la cessation automatique du contrat d’intérim.
Conseil pratique : Afin d’éviter toute éventuelle réclamation de dommages et intérêts de la part du travailleur intérimaire, l’entreprise prêteuse peut informer le travailleur intérimaire, dans le cadre de la note d’information obligatoire prévue par le § 11 al. 2 AÜG (« L’entreprise prêteuse a l’obligation d’informer le travailleur intérimaire, avant chaque mission, qu’il sera employé en qualité de travailleur intérimaire. »), sur la durée légale maximale de mise à disposition ainsi que sur les éventuelles règles dérogatoires conventionnelles ou internes à l’entreprise.
5. Reconnaissance d’une infraction commise par l’entreprise prêteuse
Toute violation délibérée ou par négligence de la durée maximale autorisée de mise à disposition est constitutive d’une infraction de la part de l’entreprise prêteuse et passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 30.000 € (voir § 16 al. 1 n° 1e, al. 2 AÜG). Le fait que le travailleur intérimaire fasse une déclaration de maintien (« Festhaltenserklärung ») ou pas n’a à cet égard aucune importance. C’est la Bundesagentur für Arbeit, l’équivalent allemand de Pôle Emploi, qui est chargée de mener les poursuites et de prononcer les sanctions au titre des infractions (voir § 16 al. 3 AÜG).
Conseil pratique : Dans la mesure où, s’agissant des dérogations à la durée légale maximale de mise à disposition, ce sont les règles conventionnelles et/ou internes à l’entreprise utilisatrice qui prévalent, l’entreprise prêteuse n’en a pas forcément connaissance. Ainsi, pour éviter tout grief de négligence de la part de la Bundesagentur für Arbeit, l’entreprise prêteuse devrait demander à l’entreprise utilisatrice de lui indiquer si elle déroge à la durée légale maximale de mise à disposition et, si oui, quelles règles dérogatoires elle applique en interne.
L’entreprise utilisatrice échappe à l’amende prévue en cas de non-respect de la durée maximale autorisée de mise à disposition dès lors qu’elle se contente de laisser travailler l’intérimaire.
6. Refus ou non-renouvellement de l’autorisation de prêt de main d’œuvre
Outre l’amende, le non-respect de la durée maximale autorisée de mise à disposition peut aussi avoir des conséquences sur l’activité de l’entreprise prêteuse. Le non-respect de cette durée maximale autorisée peut justifier un retrait de l’autorisation de prêt de main d’œuvre ou le refus de renouvellement de cette dernière.
Dans le cadre de cette décision, les autorités sont toutefois tenues de respecter le principe de proportionnalité. Ainsi, en règle générale, un léger dépassement de la durée maximale de mise à disposition dans des cas particuliers ne devrait pas de suite justifier un manque de fiabilité de la part de l’entreprise prêteuse.
Comment instaurer des exceptions à la règle des 18 mois (convention collective et accord d’entreprise) ?
La récente réforme de la loi allemande sur le prêt de main d’œuvre a introduit une règle assez inédite en matière d’applicabilité d’une convention collective. En effet, l’art. 1 al. 1b phr. 3 de la nouvelle loi stipule que seule une convention collective (ou un accord d’entreprise si la convention collective applicable le prévoit) applicable dans la branche de l’entreprise utilisatrice peut prévoir une exception à la règle des 18 mois (prolongation ou réduction de la durée maximale légale de 18 mois). Cela signifie que ce n’est pas la convention collective de l’employeur du salarié intérimaire (= société prêteuse) qui doit prévoir l’exception, mais bien la convention collective qui s’applique à l’entreprise utilisatrice (c’est-à-dire la société au sein de laquelle le salarié effectue sa mission d’intérim). Cela vaut également si l’entreprise utilisatrice n’est soumise à aucune convention collective.
Cette nouvelle règle est très controversée et il est tout à fait possible que la Cour constitutionnelle allemande soit amenée à trancher la question de sa constitutionalité.
Conseils pratiques :
1. Etant donné que ce sont les règles conventionnelles et/ou internes à l’entreprise utilisatrice qui prévalent pour toute exception à la durée maximale autorisée de mise à disposition, l’entreprise prêteuse devrait soumettre l’entreprise utilisatrice à une obligation d’information dans le cadre de la convention de mise à disposition.
2. Indépendamment de l’adaptation des conventions collectives existantes rendue nécessaire par la réforme de la loi sur le prêt de main d’œuvre, le gouvernement fédéral a adopté un décret d’extension concernant la convention collective sur le salaire minimum conclue fin 2016 par les commissions sur le travail temporaire de la confédération des syndicats allemands d’une part et des organisations patronales (iGZ et BAP) d’autre part. Ainsi, même les travailleurs intérimaires non soumis à une convention collective perçoivent désormais un salaire minimum plus élevé. Dans un premier temps, le salaire minimum légal a été porté à 9,23 € dans l’ouest de l’Allemagne et à 8,91 € dans la partie est. Par la suite, il sera encore augmenté progressivement. La convention collective a été signée pour une durée de 36 mois et s’applique jusqu’au 31.12.2019.
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