Salarié en Allemagne d’une entreprise française - quel droit du travail est applicable ?
9 février 2023
Les contrats du travail transfrontaliers soulèvent des questions particulières. La toute première est toujours celle du droit applicable. Une entreprise française qui emploie un salarié en Allemagne doit-elle appliquer le droit allemand ou bien le droit français ?
Le règlement européen Rome I (n° 593/2008) prévoit en principe la liberté des parties de choisir le droit applicable au contrat de travail. Ce choix ne doit cependant pas priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable en absence de choix des parties. Il convient donc de procéder à une comparaison des avantages que procurent chaque disposition des deux lois et de vérifier si cette disposition a un caractère impératif. Cette limite dans la liberté de choisir la loi applicable rend ce choix de loi souvent peu attractif et peut conduire à des situations complexes. Comme par exemple, lorsqu’un tribunal de travail allemand doit appliquer le droit français.
Si aucun choix du droit applicable n’a été fait dans le contrat, c’est la loi du pays dans lequel le salarié accomplit habituellement son travail qui s’applique. Dans un contexte transfrontalier, il n’est pas rare qu’un salarié exerce une partie de son travail en Allemagne et une partie de son travail en France. Dans ce cas, c’est le droit du pays dans lequel le salarié travaille la majorité de son temps de travail qui régit le contrat de travail. Toutefois, il peut y avoir des cas de figure où il n’est pas possible de déterminer la loi applicable de la manière indiquée ci-avant. Dans ce cas, ce sera le droit du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché l’employé qui va régir le contrat.
Dans le cas le plus typique d’une entreprise française qui embauche un salarié qui travaille en Allemagne soit de manière permanente, soit pour la majorité de son temps de travail, ce sera donc le droit allemand qui s’applique en absence de choix de droit applicable. Dans un tel cas, il est préférable pour l’employeur de laisser le contrat de travail soumis au droit allemand et de ne pas choisir que le droit français est applicable. En effet, le droit du travail français est de manière générale plus protecteur pour les salariés que le droit du travail allemand. A titre d’exemples, il n’existe pas de durée légale du travail en Allemagne, mais seulement une limite de 48 heures par semaine en moyenne (40h étant habituellement prévu dans un contrat de travail classique), les CDD peuvent être conclus beaucoup plus facilement et ne nécessitent pas de motif de recours pour une durée initiale de 24 mois, il n’existe pas d’indemnité de licenciement légale et les petites entreprises jusqu’à 10 salariés en Allemagne peuvent en règle générale licencier du personnel sans motif de licenciement.
En cas de détachement de travailleurs, la règle du droit applicable est différente. Le règlement Rome I prévoit que le droit applicable ne change pas lorsque le salarié accomplit son travail « de façon temporaire » dans un autre pays, c’est à dire lorsque le détachement est limité dans le temps (un détachement de deux ans est en général encore considéré comme « de façon temporaire », même si une évaluation au cas par cas reste indispensable) et qu’à l’issue de cette période, le salarié retourne travailler dans son Etat d’origine. Ainsi, un salarié travaillant habituellement en France détaché en Allemagne continuera d’être soumis au droit du travail français. Le droit allemand prévoit néanmoins l’application impérative de certaines dispositions fondamentales allemandes à tous les salariés détachés en Allemagne.
Dans des cas exceptionnels, le contrat pourra néanmoins présenter des liens plus étroits avec un autre pays que celui déterminé par les principes susmentionnés. Si l’employeur arrive à prouver l’existence de tels liens, le contrat sera alors régi par le droit de cet autre pays.
Nonobstant la loi choisie ou applicable en vertu des principes indiqués ci-dessus, certaines normes impératives du pays dans lequel le salarie accomplit son travail sont toujours applicables : il s’agit des lois de police internationales. C’est notamment le cas du salaire minimum ou de certaines règles visant à protéger des catégories de salariés particulièrement vulnérables, comme les handicapés ou les femmes enceintes et mères.
Il convient de souligner que le droit du travail applicable doit être distingué du droit de la sécurité sociale applicable qui est régi par les règlements européens n° 883/2004, n° 987/2009 et n° 465/2012. Le principe de base reste cependant le même :
En principe, une personne est soumise à la législation de sécurité sociale du pays dans lequel elle travaille. Les cotisations de sécurité sociale doivent être versées dans ce pays conformément à la législation nationale en vigueur.
Concernant le détachement de salariés, c’est également le droit de la sécurité sociale de l’Etat qui détache le salarié qui continue de s’appliquer lorsque le détachement ne dépasse pas 24 mois.
En cas d’activité dans plusieurs pays, il faut d'abord déterminer quel est le lieu de travail déterminant et donc quelle est la législation de sécurité sociale applicable. En effet, même dans ce cas, une personne n'est soumise qu'à la législation de sécurité sociale d'un seul pays.
La législation de sécurité sociale du pays de résidence du salarié s'applique si le salarié exerce une partie substantielle de son activité dans ce pays. Une activité est en général considérée comme substantielle lorsqu'elle représente au moins 25 % du temps de travail total ou de la rémunération totale. A défaut, en cas d’employeur unique, c’est la législation de l’Etat du siège de l’employeur qui s’applique.
Si le salarié travaille pour plusieurs employeurs différents dans plusieurs Etats membres différents, ce principe change encore une fois : c’est la législation de l’Etat du siège hors de l’Etat de résidence qui s’applique si les employeurs sont répartis entre l’Etat de résidence du salarié et un autre Etat. Par contre, si au moins deux employeurs ont leur siège dans deux Etats différents hors de l’Etat de résidence du salarié, c’est le droit de l’Etat de résidence qui s’applique.
Pour conclure, une remarque s'impose : il est essentiel de distinguer les règles relatives au droit applicable des règles de compétences juridictionnelles (règles qui déterminent le tribunal compétent). La compétence internationale des tribunaux est régie par un règlement européen spécifique qui a ses propres principes (règlement (CE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis ») qui peuvent être différents des principes relatifs au droit applicable. Il est donc tout à fait possible que le tribunal de l'Etat A soit tenu d’appliquer le droit de l'Etat B.
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